Publié le 06/06/2020
Pierre ESTEVE (Gerboise)
Pierre « a été pendant de nombreuses années une figure importante de
notre mouvement» René-Claude Blanchet - Groupe d’Orange, actuel
Coordinateur régional PAM.
Photo Evelyne RIVIER à Couteron, lors du Centenaire de l’Association
Ce serait trahir Pierre que de parler de lui, sans faire place à ceux
qu’il a respectés et aimé(e)s :
Sa mère, Hélène MORENAS, institutrice, engagée à mi-temps comme
infirmière en 14-18.
Son père, Armel ESTEVE, ami de Jean JAURES, avec qui il militait.
« Mon père et ma mère se sont mariés juste après la guerre, en 1918. »
Son frère Jean ESTEVE (Hibou) nait en mai 1920
( Eclaireur engagé
décédé en 1999 - voir AHSL
https://www.histoire-du-scoutisme-laique.fr/).
Pierre est né le 22 Juin 1921 à Orange, dans la maison familiale où il
a vécu toute sa vie, et où il est décédé ce 8 avril 2020.
Son père créé le ‘Sou des Ecoles Laïques’ d’Orange en 1929, afin
d’aider les enfants à s’équiper pour suivre correctement la classe en
ayant cartable, chaussures, etc…
André TAIX, Maître d’Internat arrive à Orange vers 1930. Il avait créé
un groupe EDF à Manosque, puis à Apt. Il veut faire de même à Orange en
s’appuyant sur quelques adultes engagés. Le Commissaire Régional des
EDF, Pierre DESCHAMPS, rend visite au père de ¨Pierre. Ils s’entendent
bien sur les objectifs éducatifs pour la jeunesse locale notamment la
laïcité.
« C’est là qu’à commencé mon épopée aux Eclaireuses Eclaireurs de
France».
Un local a été retapé dans les écuries du parc d’artillerie d’Orange et
mis à disposition. Chaque patrouille avait un coin qu’elle aménageait.
Dans le parc, ils jouaient au hockey sur gazon. « On faisait des
excursions dans les bois à côté d’Orange, à 4 ou 5 km, on faisait des
jeux de piste…
Mon premier camp a été à La Forclaz (Haute Savoie). »
En 1936, Pierre participe au grand jeu national du 25° Anniversaire du
Scoutisme et en 1937, il est au Jamboree de Vogelenzand aux Pays Bas où
William LEMIT leur fait chanter le « chant des Jeunes » de sa
composition : Une fleur au chapeau. « trop chanté ensuite du côte de
Pétain (…) alors qu’en réalité ce n’était pas du tout ça. ».
« J’ai vécu vraiment la transformation du camp », des tentes autour
d’un mat on est passé à des camps dans la nature avec astuces. « Les
feux de camp et le froissartage ont commencé à cette époque. »
Pierre a fait sa formation de Chef au ‘Cappy* Coudon’ montagne derrière
Toulon en 1939 sous la direction de Pierre FRANÇOIS et de René ALAUZEN.
Il a conservé ses cahiers de stage.
Dans l’entretien filmé en 2014 - 15, d’où sont tirées ces informations
et citations, Pierre, son chat étant venu se blottir dans ses bras,
conclut cette partie de film : «Parce que tu sais, n’oublions pas que,
entre 36, le front populaire et 45 la fin de la guerre et 43-44 la
résistance, ça faisait jamais que 7-8 ans mais qui étaient d’une
densité extraordinaire.»
D’autant que : En août 39, il rencontre Paulette, sa future femme, dans
un train où son ami la recrute aux EDF. Il la retrouve au camp de
Charance (Gap), elle est Louve, cheftaine Louveteaux et lui Chef
Eclaireurs. « Il y a eu le tilt » et ils se sont mariés le 28 janvier
1942. Son père étant malade, Pierre prend la suite de l’atelier de
fabrication de balais de paille. En 42 il est envoyé aux Chantiers de
jeunesse. Grace au mariage Paulette a pu le remplacer dans l’entreprise
familiale.
Leur fils aîné, Armel, nait en décembre 42.
En Août 43 Pierre est réquisitionné pour le Service du Travail
Obligatoire. Son père venait de mourir, il parvient à se faire
‘réformer’ plutôt que de passer dans la clandestinité comme des
policiers bienveillants le lui suggéraient, car il se sent responsable,
là sur place, de sa famille et de l’atelier. Il obtient, non sans
peine, grâce au médecin compréhensif, au prétexte de conjonctivite,
l’autorisation de rester travailler sur place.
Paulette, en tant qu’assistante sociale, pouvait circuler en voiture.
Ils ont été résistants, il dit « On était fou! » car une fois,
transportant des armes, ils sont arrêtés à un contrôle, son fils encore
bébé était avec eux. Ils ont pu passer…
Jean, résistant, est déporté en avril 44.
Après le débarquement de Provence, en août 44, les résistants se
regroupent en une Compagnie militaire dans le Ventoux. Il y était chef
de groupe. « (…) avec moi, il y avait trois jeunes responsables. (…)
Ces éclaireurs, ils avaient un autre sens du positionnement et de la
pratique de la vie en commun que les autres personnes, (..) qui
n’avaient pas le même sens de la responsabilité au sein d’un groupe. »
Ses autres enfants naissent : Marie-France en 44, Line en 45, Jean-Paul
naitra en 49.
L’après-guerre :
En 1946, en tant que Ligue des droits de l’homme (dont il sera membre
toute sa vie), il est nommé à une Cour départementale de justice pour
juger les petits collaborateurs. La grande question était : « Qu’est-
ce que la justice? … pas la vengeance ».
En 46, ils reprennent leurs activités aux Eclaireurs comme Responsables
de Groupe. Mais, Max GILLES âgé de 16 ans, meurt de l’explosion d’une
mine abandonnée dans des ruines près du camp de Charance (Gap). Ce fut
un coup dur pour les Eclaireurs d’Orange.
En 1952, Paulette reprend du service aux Eclés, dont ses enfants sont
membres, au camp de Sainte Catherine de Vars tenu par Yvonne PUAUX
épouse de Paul PUAUX alors Responsable régional EDF et collaborateur de
Jean VILAR au festival d’Avignon.
Pierre continue son engagement aux échelons départemental, régional,
puis national. Organisation de rassemblements régionaux : Il se
souvient d’une Promesse lors de la Saint Georges de Cavaillon : elle
fut prononcée face à la vallée de la Durance, dans un cadre magnifique.
« On n’a pas suffisamment montré aux gens que la philosophie des
Eclaireurs était quelque chose qui devait vous prendre dans l’esprit et
dans le corps d’une façon puissante, sans bondieuserie, ce à quoi
correspond l’esprit humain. »
Toute la famille ESTEVE s’implique à Blieux, où ils réhabilitent des
bâtiments et où se déroulent de nombreux camps.
René-Claude BLANCHET dit : « Il est à l'origine de l'achat en 1965 puis
du développement du centre de St Léger du Ventoux ».
Pierre a eu la douleur de perdre sa fille Marie-France, en 1974.
« J’ai été au Comité Directeur (…) quand Jean était Commissaire général
». Années 68. Il participe à l’organisation des Assises 73-74. Il
quittera le CD sur désaccords d’orientations.
Il participe à la recherche d’un lieu national de rencontres, en trouve
un à Puget sur Durance, avec Claire MOLLET (Cascade) mais le Parc du
Luberon s’y oppose. Ce sera finalement Bécours.
Pendant une dizaine d’année de 78 à 88 environ, il a été Responsable
régional Provence avec l’aide très active et pacificatrice de Josette
et Georges DESCHAMPS, en une période de conflits locaux.
Pierre parle de ses autres engagements : « Le scoutisme amène à prendre
des responsabilités pratiques, pas seulement théoriques. »
Et son fils Jean - Paul dit : « une cohérence globale de participation
à la vie locale, savoir d’où on vient et essayer de savoir où
l’on va ».
A la libération, il relance le Sou des Ecoles laïques, et crée un
Centre aéré d’été. Les Aînés EDF en étaient animateurs. Repris par la
municipalité, il regrette la modification des objectifs sociaux et
éducatifs qui en ont découlé.
En 1954, Pierre adapte son entreprise à la vente de détergent pour
collectivités. Nombre d’Eclaireurs, et jeunes suivis par Paulette en
tant qu’Assistante Sociale, y ont travaillé, à toutes époques,
certains, soutenus jusqu’à être hébergés chez eux. « On ne cherchait
pas à être paternel et protecteur, on leur permettait de vivre et
d’être libre. »
Cet engagement social se trouvait déjà dans la Responsabilité que
Paulette a pris avec « L’Oeuvre des Enfants à la montagne et à la mer »
dont l’un et l’autre ont été présidents de 1974 à 1999, date à laquelle
leur fils Jean-Paul a pris la suite.
En tant que représentant des EDF, il a été au Conseil d’Administration
des Oeuvres LaÏques (Ligue Française de l’Enseignement et de
l’Education Permanente), puis en a été Président départemental. Le
Centre Le Dahut au Mont Serein / Beaumont du Ventoux a bénéficié à sa
création de l’aide concrète des EEDF d’Orange.
Dans les années 80, Pierre est président de ‘Orange Prévention Accueil
Réinsertion' pour des personnes sortant de prison ou qui étaient « sur
la route ». l’OPAR disposait de tout une cage d’escalier d’HLM pour les
loger et les aidait selon besoin. Un changement de municipalité …
Jean-Paul a pris le relai sous RHESO une autre forme d’aide aux plus
démunis.
En 1979, le ‘Sou des Ecoles Laïques’ crée l’association de quartier de
l’Aygues, qui devient en y associant les habitants, Centre social agréé
CAF en 1983 et affilié à la Fédération des Centres Sociaux. Il porte le
nom de Pierre ESTEVE depuis 2013 lors des 30 ans du Centre social. Line
en a été Présidente avec l’objectif d’y appliquer les principes de
développement personnel et collectif du scoutisme.
En 1989, Il est devenu adjoint au maire d’Orange, dans une liste de
gauche, mais on lui a confié une délégation qui ne correspondait pas
forcément à son désir : le développement économique. Toutefois il avait
un projet de développement par le tourisme qui n’a pas été suivi.
Chevalier de l’Ordre National du mérite, Médaillé Jeunesse et Sports,
et de l’Académie, il est Chevalier de la Légion d’Honneur. Sa fille
Line dit: « Il ne s’en faisait pas forcément une gloire ».
Il conclut notre entretien ainsi : « Je suis d’une famille
républicaine, laïque, athée aussi, qui était à l’initiative dans la
région de l’anti Napoléon III. Ma grand-mère était partie en 70 (..)
comme infirmière au secours des troupes de la République renaissante au
moment de La Commune. Mon père était nourri de cette infaillibilité de
la République qu’il fallait à tout prix défendre. Fils d’agriculteur,
il nous apprenait ce qu’était la nature (…) vivre avec la nature et pas
contre elle. Quand nous sommes entrés aux Eclaireurs, cet apprentissage
qui y était dispensé, il trouvait ça très bien. Il a été totémisé Sage
Bison (il avait une barbiche comme moi) et il était fier de porter sur
sa boutonnière, l’arc tendu, insigne des EDF.
(…) Les discussions qu’on pouvait, enfant et adolescent, avoir avec
lui, étaient toujours très positives et toujours pleines d’humanité et
d’amour de l’humanité. Malgré les combats qu’il a eu à mener, d’abord à
la SFIO, et avec la Ligue des droits de l’homme dont il était parmi les
initiateurs après l’affaire Dreyfus à Paris. Il nous a laissé cette
envie (…) cet idéal correspond bien aux Eclaireurs.»
René-Claude BLANCHET témoignage : « (…) ces dernières années il se
tenait régulièrement au courant des choses de l'association par mon
intermédiaire mais aussi par son fils Armel membre de l'équipe
régionale sur Grenoble. Ses 4 enfants ont tous fait partie des éclés et
ont été responsables au sein du groupe d'Orange. Pour la petite
histoire en 1969 c'est lui qui m'a accueilli au groupe et surtout a
assuré ma formation de jeune responsable, en 74 il m'a embauché dans
son entreprise où je suis resté pendant 35 ans. C'est un ami qui s'en
va mais je dirais presque un second père. »
Propos recueillis et mis en forme par Nelly GIBAJA au nom des EEDF, des
AAEE et de l’AHSL. Ils ont été relus et corrigés par les enfants de
Pierre qui donnent l’autorisation de publication et par René Claude
Blanchet pour son témoignage.
*CAPPY : nom de la propriété près de Verberie dans l’Oise où se sont
déroulées pendant des années les formations des cadres. Le nom est
devenu générique pour les formations où qu’elles se situent ensuite.